Valérie Boisgel

Valérie Boisgel
Valérie Boisgel

dimanche 8 juillet 2012

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« CAPTIVE »


Préface de Pierre Bourgeade




On l’a souvent dit, et comment ne pas le redire, il y a une manière particulière aux femmes d’appréhender et d’exprimer la situation amoureuse. Quoi de plus naturel, après tout ? Si les corps sont dissemblables, désirs, sensations, écriture ne peuvent manquer de l’être ! On le sait, mais on fait souvent comme si on ne le savait pas, puisque malgré l’importance de plus en plus grande que prend, dans notre monde, la parole féminine, la littérature reste en grande partie une sorte de « chasse gardée » des hommes. L’essai, le roman, le journal intime, sont un domaine qu’ils paraissent s’être appropriés non moins que la philosophie, la politique, les sciences, etc. Il y a bien sûr, à cela, des exceptions, aussi brillantes que rares, mais elles sont accompagnées souvent, d’un parfum de scandale, qu’un écrit analogue, signé d’un homme, ne répandrait pas. Tout se passe comme si, depuis très longtemps et jusqu’à nos jours, l’homme se sentait fondé à connaître le corps de la femme, et à en parler, mieux qu’elle ne saurait le faire elle-même.


Quelques femmes pourtant, conscientes de faire partie du petit nombre des rebelles - l’exception féminine ? - ne craignent pas de chercher à savoir ce qu’elles sont, ce qu’elles font, et à l’écrire. Ainsi Valérie Boisgel, une fois de plus, après « De l’aube à la nuit », dans ces nouvelles – textes qui étonneront, feront scandale, peut-être… Que lui importe ? Ecrire, c’est avouer, elle le sait.


L’entreprise est d’autant plus difficile que celle qui s’y livre ne semble pas s’efforcer de faire sienne une parole «  féminine-masculine » , si l’on ose dire, comme nombre de ses consoeurs qui, écrivant en femmes, restent évidemment marquées par la prééminence du modèle masculin (certaines d’entre elles écrivant d’ailleurs sous des pseudonymes masculins, aveu d’impuissance à soi-même) , mais s’offre telle quelle, « féminine-féminine » , au risque de voir incompris, sinon rejeté ce discours inattendu.

Pourtant, ainsi que le signifia Godard, par l’inoubliable Anna Karina dans « une femme est une femme », c’est en femme qu’elle vit, qu’elle agit, qu’elle parle, qu’elle écrit. Et cela d’autant moins que Valérie Boisgel se veut et se vit moins dans la séduction que dans la soumission, moins dans l’égalité que dans le don.
On pressent à cela, que cette parole littéraire est aussi une parole politique.

J’ai connu Valérie Boisgel, il y a quelques années, alors que, passionnée de théâtre, elle dirigeait, c’est-à-dire qu’elle animait l’Espace Kiron, sous son aile, très actif. Nous avons pu y monter, dans une mise en scène de Maurice Attias,
«  28 journées de la vie d’une femme » , une adaptation que j’avais pu réaliser avec l’autorisation expresse de Diane Bataille, veuve du grand écrivain, et grâce à l’aide de Marcel Maréchal, qui dirigeait alors « La Criée », à Marseille.
Dans les mêmes conditions, Attias et moi, avions déjà présentés à Marseille « Ma Mère » qu’avait jouée, de toute son âme, Nelly Borgeaud. Nous étudiâmes à Paris avec Valérie Boisgel la possibilité de reprendre l’une ou l’autre de ces pièces… Pour des raisons « d’intendance » notre choix se porta sur l’adaptation du « Mort » que devait magnifiquement interpréter Anne de Broca, dans le rôle-titre de Marie. Travaillant sur ce texte et sur le texte de « Ma Mère » avec Valérie Boisgel, avant que ne fut prise notre décision, je vis à quel point elle était proche de l’esprit de Georges Bataille et de la manière dont celui-ci avait pu aborder ce domaine obscur qui touche à l’intimité des hommes et des femmes.


Certaines choses toutefois, par nécessité, ne seront jamais dites que par les femmes elles-mêmes… C’est dans ces régions mal connues, où la conscience de soi hésite entre ce qui est de l’animalité et ce qui est du sacré, que nous invite à l’accompagner celle qui n’a pas craint d’écrire ces pages.
« Captive » nous captive. Dans cette nouvelle écriture de femme, - une écriture cinématographique -, Valérie Boisgel sait de quoi elle parle : elle nous vient du cinéma. C’est bien au-delà des mots, des regards nus, si nus, qu’elle nous donne à lire. C’est son âme qu’elle dévoile, qu’elle touche au sacré.
La fin de cette histoire, « rupture » est la suffocation du désespoir. Une écriture haletante, saccadée, vibrante et violente, sans ponctuation, écrite en état d’urgence. Dans un souffle.

Pierre Bourgeade

Pierre Bourgeade ( est un homme de lettres français à la fois romancier, dramaturge, poète, scénariste, réalisateur, journaliste, critique littéraire et photographe. Descendant de Jean Racine, il est aussi le beau-frère de l'écrivaine Paule Constant.
Pierre Bourgeade a développé une œuvre polymorphe largement placée sous l’héritage de Sade et de Georges Bataille. Ami de Man Ray et de Pierre Molinier, Prolixe auteur de romans noirs, il a notamment été récompensé du Grand Prix Paul-Féval de littérature populaire par la Société des gens de lettres (SGDL) en 1998 pour Pitbull.

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